DÉPORTATION DES DOMINICAINS D'ASCENDANCE HAÏTIENNE
Il se passe
actuellement en République Dominicaine l'un des pires cas de
négation des droits humains.Malheureusement, cela a lieu au moment
où l'attention mondiale est accaparée par «l'état islamique»
dans sa guerre totale sur trois continents.
Depuis quelques semaines,en effet, les Dominicains d'ascendance haïtienne sont sous le coup d'une déportation. Nés en République Dominicaine de parents sans citoyenneté dominicaine, ces Dominicains se font, pour cette raison même, confisquer leur certificat de naissance par le pouvoir quand ce document existe. À moins que leurs parents ne se soient vus, dès le début, dénier le droit de s'en faire délivrer, comme cela arrive souvent, rendant leurs enfants nécessairement apatrides dans les deux cas. Bien entendu, cette négation du droit du sol se fait au mépris de traités internationaux que la République Dominicaine avait officiellement reconnus.La décision de cette déportation a été prise le 23 septembre 2013 par un arrêt de la Cour constitutionnelle connu sous le numéro 0168/13 ciblant particulièrement les Dominicains d'ascendance haïtienne.
Il faut savoir que les
relations houleuses avec les Haïtiens ne datent pas d'hier. Dès le
début du XXème siècle, ces derniers ont fait l'objet d'ententes
plusieurs fois renouvelées entre les gouvernements haïtien et
dominicain, à l'occasion de leur embauche comme ouvrier agricole
dans l'industrie sucrière. Pourtant, ils n'ont jamais cessé d'être
maltraités de toutes les façons, socialement,économiquement et
juridiquement. Tout au long du siècle dernier, leur traitement a
fait l'objet de nombreuses dénonciations tant de la part
d'organismes internationaux comme l'ONU, l'OEA etc.que de divers ONG
comme leCIIR,l'OIT ou the Anti-Slavery Society de Londres etc.
Depuis quelques
semaines, réagissant à la pression des autorités et aux différents
signaux du pouvoir dominicain,on voit ces Dominicains, parfois tout
dépenaillés, avec le peu de biens dont ils disposent, sur les
routes à destination d' Haïti, un pays que la plupart ne
connaissent pas.
Car beaucoup d'entre eux savent ce qu'est un signal du pouvoir
dominicain. C'est par un signal de Rafaël Léonidas Trujillo, le
président du pays dans les années 30, qu'environ 20000 à 35000
d'entre eux ont été égorgés en 1937 à l'arme blanche, à la
baïonnette par les soldats et aux couteaux par les résidents d'une
vingtaine de localités le long de la frontière haïtiano-dominicaine
du Nord au Sud depuis Monte Christi. Si l'on met de côté les
millions d'Ukrainiens morts de faim par la volonté de Staline entre
1932 et 1933, l'extermination des Haïtiens inscrite dans les annales
de différentes chancelleries mais qui n'a jamais passé la rampe de
la presse internationale est pourtant considérée comme le deuxième
génocide du vingtième siècle après celui des Arméniens en 1915.
Il faut,en partie, imputer la cause de cette ignorance à
l'indifférence internationale et aussi aux carences des agences de
presse malgré que certaines d'entre elles comme la United Press et
le New York Times, au moins par un article,ont essayé d'en
répercuter la nouvelle. À cela il ne faudrait pas passer sous
silence la réclamation d'un membre du Congrès que les États-Unis
rompent leurs relations avec la République Dominicaine en raison de
ce génocide.
Ce
pays a toujours considéré l'immigration haïtienne comme un mal
nécessaire. Nécessaire parce qu'elle permet de répondre,
répétons-le, aux besoins en main-d'oeuvre de l'industrie sucrière
et garantissant par le fait même son développement. Mais surtout un
mal parce qu'elle ne correspond pas au modèle envisagé de
l'idéal dominicain. Cette attitude dichotomique, si elle n'est pas
toujours présente dans la population, varie d'un pôle à l'autre
selon les événements et les impératifs historiques.
La
société dominicaine est une société métissée, composée,en
majorité, de descendants d'européens surtout d'espagnols et de
descendants d'esclaves africains qu'ils sont allés chercher en
remplacement des aborigènes, en l'occurrence, les Taïnos qu'ils
avaient préalablement exterminés.. Mais par un étrange processus
mental à la lisière de la schizophrénie cette société se perçoit
comme formée, bien entendu, d'Européens mais aussi de Taïnos
quand il s'agit d'expliquer l'origine des non-blancs, oblitérant les
caractères africains, au moment même où la réalité convainc
éloquemment du contraire. Car si les Taïnos y ont laissé des
traces comme d'ailleurs en Haïti,elles sont loin d'être
considérables. Dans une étude présentée au congrès médical
dominicain en 1951, Dr José de Jesus Alvarez a évalué les
composantes du génotype dominicain dans les proportions
suivantes:17% d'indiens(Taïnos), 40% de blancs et 43% de noirs.
Évidemment, beaucoup n'en crurent pas leurs oreilles.
C'est dans ce contexte
pathologique qu'il faut comprendre la dynamique des relations avec
l'immigration haïtienne et surtout avec l'existence de Dominicains
d'origine haïtienne. Évidemment, il y a, à la base, un racisme
qui est tantôt déguisé tantôt manifeste selon les couches
sociales concernées et qui traduit la volonté politique d'épurer
la dominicanité de certains phénotypes.
Il y aurait beaucoup à
dire sur l'attitude des gouvernements haïtiens successifs sur ce
phénomène, mais ce n'est pas l'objet de notre propos. On peut
seulement prévoir que le jour où le gouvernement haïtien s'avisera
de mettre en question l'entente concernant la main-d'oeuvre haïtienne
--car,il faut, de toute urgence y arriver--la République Dominicaine
ne manquerait pas de jeter des cris d'orfraie. En attendant, en
dépit des protestations haïtiennes maintes fois formulées, rien ne
semble devoir arrêter le processus de déportation de ces
Dominicains.
Marc Léo Laroche
30.06.15